Elle me regarde de ses grands yeux émeraude, des larmes commencent à poindre. Elle se jette à mon cou pour m’enlacer, je la serre plus fort. C’est là que je sens la bosse qui pointe sous son sweat et que je sens un coup dans mon ventre. Je la lâche et la regarde. Je dois avoir un regard horrifié, surpris. Je jette un coup d’œil à Tania, elle est en train de se demander si je saisis toute la situation. Je pose ma main sur le ventre de ma sœur, je reçois un autre coup. 

- Tu… Tu… es…

Je ne peux même pas prononcer la phrase à voix haute, et ma sœur ne peux même pas parler, elle hoche simplement la tête en guise de réponse. Elle pleure, je ne peux que la prendre dans mes bras, c’est ma petite sœur, quoi qu’elle ait fait, je serais là pour elle. Je commence à comprendre pourquoi elle est là, pour mère, un bébé à cet âge, c’est inconcevable… Je vois bien là, qu’elle l’a mise à la porte, je sens mon sang bouillir dans mes veines. Anna est toujours dans mes bras à sangloter.

- Maman t’as mise dehors ? 

Elle ne répond pas, elle se contente de secouer la tête pour un non. Bizarre que notre mère ne l’a pas fait, sauf si…

- Elle est au courant au moins ?

Elle se remet à pleurer plus encore, je pense avoir ma réponse, mais elle secoue encore la tête. Comment elle a pu lui cacher sa grossesse si longtemps ? Même si elle m’a franchement berné à coup de sweat noir et large, comment une femme qui passe son temps à fouiner partout ne s’en est pas rendu compte ? Tania qui s’était éclipsée dans la cuisine revient avec de l’eau pour Anna. Je l’assois sur le canapé et elle boit son verre. Je ne veux pas la brusquer, mais j’aimerais bien comprendre ce qu’il se passe. Tania pose sa main sur mon épaule, elle voit que je perds légèrement patience. Je me tempère. 

- Tu veux bien me raconter ? C’est Hugo le père ?

Je fais des suppositions puisqu’elle ne parle pas vraiment, elle était avec lui depuis un moment avant que je ne coupe les ponts. 

- Oui. C’est un accident.

Vu son état, je me doute qu’elle n’ait pas voulu le faire exprès. Et on sait qui est le garçon en cause. Ce sera plus facile de le tuer. Qu’est-ce que je raconte, moi !

- Mais enfin comment maman ne peut pas être au courant ? 

- Quand je l’ai découvert, je ne savais plus quoi faire, j’ai laissé traîner et maintenant, ça se voit, j’avais peur de la réaction de maman et maintenant, elle va me tuer, je ne l’ai même pas dit à Julia, elle lui aurait dit, je suis sûre… 

- Personne ne va tuer personne ! Hugo sait ?

- Oui.

- Et il a dit quoi ?

- Il m’a laissé tomber…

- Non mais quel crétin. Tu as vu un médecin au moins ?

- Non…

Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire d’elle… je me retourne et je me prends le visage dans les mains et je souffle.

- S’il te plaît, ne m’engueule pas, dit-elle en recommençant à pleurer.

- Mais Anna, je ne t’engueule pas, je suis juste dépassée par la situation, c’est tout. 

Tania est à côté d’elle sur le canapé, elle essaye de la consoler, puis nous l’escortons à l’étage dans la chambre d’ami pour qu’elle puisse se reposer.

- Non mais c’est fou ça, un peu plus de 8 mois qu’on ne s’est pas vus et ma sœur revient avec un môme dans le bide.

- Je crois que vous êtes autant bouleversé l’une que l’autre me dit Tania.

- Je m’attendais à tout sauf à ça, je ne pensais pas que c’était ma sœur que tu me ramenais…

- Quoi ? Alan ?

Je ne réponds même pas à sa question, mon expression le fait pour moi. Bien sûr Alan, ça fait des mois que je ne l’ai pas vu, il me manque, mais bon, c’était le but de mon déménagement. 

- Vous ne voulez pas vous rabibocher tous les deux ? Vous êtes malheureux comme les pierres chacun de votre côté !

- Je n’irais jamais ramper à ses pieds, c’est hors de question ! Il serait trop content de ça, et puis c’est lui le problème, pas moi. Je te rappelle qu’il ne veut que des relations sans lendemains, je ne crois pas que ce soit ce que je veux encore…

- Laisse-lui le temps, c’est son mode de vie depuis si longtemps.

- Tu le défends maintenant ?

- Non, j’essaie juste de vous réconcilier ! 

- S’il revient s’excuser, peut-être qu’on pourrait l’envisager ! Et toi avec Dave ?

- Parfait, je l’aime tellement, il a enfin décidé d’aménager officiellement en bas ! Alan va être bien seul maintenant.

- C’est super, vous êtes tellement bien tous les deux ! Ne t'en fais pas pour Alan, il trouvera du réconfort ailleurs ! Vous êtes libre samedi soir pour manger ? Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas fait un petit repas.

- Oui se serait super, par contre je ne sais pas si on aura une invitée supplémentaire, la jumelle de David débarque en ville !

- Pas de problème !

Elle regarde sa montre puis m’indique qu’elle doit rentrer, on s’enlace amicalement, elle est si fine maintenant, elle a fini par se débarrasser des kilos qui la suivaient depuis l’adolescence. Elle repart en direction de mon ancien chez-moi.

Lundi matin, heureusement, c’est mon jour de repos cette semaine. Je prends les choses en main, demandant un rendez-vous rapide avec ma gynéco, qui en perd son latin quand je lui explique la situation. J’y conduis ma sœur plus tard dans la journée, elle me tient la main si fort que ses jointures blanchissent. Elle lui fait des tas de prélèvements et compagnie et termine par une échographie, quand elle pose la sonde sur son ventre, on entend rapidement les battements de son petit cœur, je lui serre la main, j’en ai les larmes aux yeux, et je vois Anna sourire en regardant l’imagine en noir et blanc qui représente le petit épi de maïs qui gesticule dans son ventre. Je n’aurais jamais imaginé assister à ça, enfin pas si rapidement et pas avec ma sœur en principale concernée. Le médecin prépare un tas d’ordonnance et veut la revoir dans 3 semaines si les résultats des prélèvements sont bons, en attendant, c’est repos. Je ramène ma frangine à la maison. Elle monte se reposer. Je me dis que ça doit être plus concret maintenant qu’elle l’a vu à l’écran.

Je passe les prochains jours à jongler entre le boulot et m’occuper de ma petite sœur, on évite de parler de sa grossesse, j’attends que ce soit elle qui le décide. Jeudi, en sortant de table, ça sonne à la porte et qu’elle n’est pas ma surprise quand j’ouvre !

- Surprise !!!!

- Alyssa, je suis contente de te voir !

Comme à son habitude, elle me saute au cou, nous allons dans la cuisine rejoindre Anna et je fais les présentations, c’est apparemment la semaine du retour des sœurs ! 

- Qu’est-ce qui t’amène jusqu’ici ?

- J’étais chez Alan depuis mardi soir, je voulais te faire la surprise ! J’avais dans l’espoir de squatter chez toi jusqu’à dimanche, je peux plus le supporter ! 

- Quoi ? Ton frère si gentil et aimable, tu ne peux plus le voir en peinture ?

Je me moque d’Alan, mais rien qu’à penser à lui, j’ai des papillons dans le ventre. Elle rigole, mais son air s’assombrit.

- Il est encore plus con qu’avant, je veux dire, désolé, mais il a ramené sa blondasse, habituellement, il fait attention quand je suis là… Et franchement, je me serais bien passée de l’entendre couiner comme une truie…

Il voit encore Steph, cette salope le voit plus que moi alors qu’elle ne lui apporte rien, juste du plaisir, comment il peut être aussi aveugle en ne comprenant pas que je peux lui apporter bien plus…

- Désolé, Jessy, je pense que tu devais t’en douter…

- Oui, bien sûr que oui… c’est pour ça que tu es là ?

- Je lui ai dit que c’était un connard fini, et que j’allais chez toi. Je crois que le fait de te mentionner l’a fait réfléchir un peu.

Je pense qu’elle se trompe encore, Alan se moque bien de moi, si c’était le cas, il aurait réfléchi depuis tout ce temps à ce qui s’est passé, c’est lui le problème, pas moi. Elle se tourne vers ma sœur pour engager la conversation.

- Et toi ? Un bébé ? Tu dois être contente ? Ça fait combien de temps ?

Le retour de la tornade Alyssa, qui parle plus vite que son ombre. Mais c’est bien, ça fera peut-être parler Anna. Elle devient écarlate, Alyssa me lance un regard.

- J’ai dit une connerie, c’est ça ?

Ça décroche un petit rire à ma sœur, elle lui explique dans les grandes lignes le problème et évidemment fidèle à elle-même, Alyssa lui saute au cou, est-elle vraiment la sœur d’Alan ? Elle est si… simple, si gentille, si amicale. Cette invitée surprise est la cerise sur le gâteau, elle nous fait passer un bon moment, Anna rit et c’est si bon de la voir comme ça que je n’oublierais pas de remercier cette petite sœur adoptive ! 

Je suis tranquille, je sais que pour les deux prochains jours Anna ne sera pas seule, Aly veillera sur elle. Samedi, je devais partir plus tôt et je me retrouve coincé au boulot jusqu’à 18h30, je rentre en vitesse, Alyssa et Anna ont déjà commencé à préparer le dîner en suivant les recettes que j’avais laissées sur l’îlot central. Je suis soulagée, je peux m’attaquer au dessert avant que mes amis n’arrivent. Juste le temps de mettre le gâteau au four et la sonnette se fait entendre, je me débarrasse de mon tablier et mes deux invitées rigolent en me regardant, je n’y prête pas plus attention et vais ouvrir.

J’ouvre et les laisse envahir ma petite entrée, si petite que je m’avance vers le salon, David m’enlace, puis Tania en enfin, je découvre la jumelle de David, effectivement aucun doute, ils ont le même visage, ils sont si pâles et si blonds, des copies conformes ! Très jolie, comme son frère ! Elle me fait la bise, elle m’a l’air plus coincé que David en tout cas. Et pendant qu’ils sont occupés à dire bonjour aux filles, mon regard se pose sur l’ombre restée près de la porte. Je pense halluciner au début, puis il s’avance vers moi, je perds un peu mes moyens, je n’ai plus l’habitude.

- Sa… Salut !

Je bégaie comme une gamine, une gamine au collège, amoureuse d’un garçon plus âgé qui ne fait même pas attention à elle et qui fantasme tous les jours qu’à un moment, il s’avancera vers elle juste pour lui demander un stylo. Voilà à quoi est réduite ma vie quand il est là, une gamine qui fantasme, je pensais m’être débarrassée de ça. Et voilà, il me faut une minute pour retomber dans le panneau.